Par Eric Amourdedieu

 

A l’Hotel Drouot sous le marteau de Maitre Fraysse était proposé mercredi 26 février 2020 un remarquable ensemble formé d’un pichet et de son bassin.

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Image Etude Fraysse, Paris.


Cet ensemble est peu connu sur le marché. Je ne l’ai jamais vu passer en France, je dois aux archives encyclopédiques de Christophe Perlès, d’avoir pu retrouver une trace de sa vente le 24 septembre 1979 chez Christie’s à Londres. Sous le couvercle du pichet figure une étiquette de la galerie Nicolier, où, nous indique le catalogue, cet ensemble aurait été acquis.

Cet ensemble est remarquable à plusieurs titres il semble d’abord parfaitement appairé, sur le plan des couleurs, du décor, de l’émail et des marques. Il ne s’agit donc pas d’un mariage postérieur.

 Il comporte en effet au revers du bassin et sous le pichet la marque P.F. Manufacture de Pelloquin et Fouque.

 

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Précisons que je dis et écris, contrairement à l’usage, Pelloquin et Fouque et non Fouque et Pelloquin. En effet, toutes les pièces connues de cette période sont marquées PF et non FP. Il me parait donc logique de conserver cette dénomination.


L’histoire a retenu par la suite Joseph Fouque dont le destin sera brillant à Moustiers. Mais nous allons voir plus loin, que Jean François Pelloquin, l’aîné de 5 ans, était à l’initiative de la création de la manufacture, et il est vraisemblable qu’il en était le leader à cette époque. L’histoire a donc ; me semble t-il, réécrit a posteriori, le rapport existant à cette période entre les deux hommes.


Jean François Pelloquin est né en 1715, il est placé en apprentissage auprès du grand Jean Baptiste Viry chez les Clérissy à l’âge de 14 ans, auprès duquel il étudie l’art de la peinture et de la décoration. Il y restera sans doute 10 ans avant de rejoindre la manufacture d’Olérys et Laugier. Il a probablement rejoint cette manufacture dès 1740. Il y a signé nombre de pièces magnifiques telles que le rafraîchissoir Berain polychrome du musée de Moustiers.

Joseph Fouque a cinq ans de moins que Jean François Pelloquin. Il entre en apprentissage de peinture chez Olérys et Laugier le 15 décembre 1739. Il deviendra progressivement l’un des peintres les plus doués de cette fabrique, et signera des pièces majeures de cette manufacture.

Joseph Olérys décède au cours de l’année 1749, laissant son fils Joseph II et son beau-frère Laugier à la tête de la manufacture. C’est de manière assez concomitante que se dessine l’association entre deux des peintres les plus talentueux et expérimentés de sa manufacture.

Dès le 22 août 1748, avant la mort de Joseph Olérys donc, Jean François Pelloquin vend tous ses biens. Toujours chez Olérys Laugier, il a sans doute en tête de s’installer à son compte, ce qu’il fait le 30 janvier 1749 en acquérant la faïencerie de son cousin Louis Roux. Ce n’est que quelques mois plus tard que se dessine l’association avec Joseph Fouque qui était le fils de sa cousine germaine. C’est donc bien Jean François Pelloquin qui est à l’origine de la création de cette manufacture.

En cette année 1749, la manufacture de Pelloquin et Fouque est née, conduite par deux peintres expérimentés et parmi les plus talentueux de Moustiers.

À cette date Jean François Pelloquin compte environ 20 ans d’expérience en tant que peintre, 10 ans chez Clérissy, puis 10 chez Olérys et Laugier ; Joseph Fouque a quant à lui 10 ans d’expérience chez Olérys et Laugier.
Sans préjuger de leur capacité à créer de nouveaux modèles, il est tout à fait raisonnable de présumer que cette manufacture naissante allait pouvoir, avec ses deux fondateurs talentueux, produire des chefs d’œuvres, au moins sur le plan du dessin. Cet ensemble en est une preuve.


On ne connait que quelques pièces portant cette marque : des assiettes mythologiques de qualité moyenne, sans doute des pièces de rodage de la nouvelle fabrique, mais surtout la plupart des assiettes de la série des assiettes à 8 médaillons considérées comme le summum de la production Moustérienne (1). Cet ensemble s’inscrit dans cette lignée.

Cet ensemble est bien entendu le seul connu de ce type portant cette marque P.F. 

Le pichet est de grande dimension. Il mesure 25 cm alors que les grandeurs moyennes se situent plutôt entre 22 et 23 cm.

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Son décor est de grande qualité. Sur la panse figure, sous la conduite de Zeus, les dieux de l’Olympe. On retrouve ce poncif sur une des 16 assiettes connues à décor aux 8 médaillons, assiette conservée au musée de Lille, et portant la marque P.F.

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Assiette au Musée de Lille

 

Mais la pièce la plus emblématique de cet ensemble est bien le bassin.

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Si la forme, la bordure ornée de guirlandes sont habituelles dans les productions d’Olérys et de Clérissy à Moustiers, la construction décorative est ici très originale. De manière assez inhabituelle pour ce type de bassin, il n’y a pas de médaillon central mais une scène mythologique « en plein » qui recouvre tout le fond du bassin. 

La scène représente Orphée et les Ménades. Orphée, inconsolable de la mort d’Eurydice, avait repoussé les avances des Ménades. Celles-ci, vexées par ce manque de considération, décident de l’attaquer, et de le tuer en mettant son corps en pièces, alors que les animaux qu’Orphée était en train de charmer, s’enfuient de toutes parts.

L’ampleur de ce décor, sa densité, sa qualité de dessin en font une pièce importante à Moustiers. 

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On remarquera en partie haute le singe réfugié dans l’arbre, qui se cache les yeux pour ne pas voir le funeste spectacle qui s’offre à lui... on peut y voir un clin d’œil à la célèbre plaque aux singes présentée au musée Borély.

Prudemment estimé 8 à 15 000 euros, cet ensemble a été adjugé 30 000 euros au marteau soit environ 38 000 euros frais inclus. La qualité est à ce prix.

 

(1) Voir Eric Amourdedieu, "les assiettes à décor aux huit médaillons" dans le bulletin de l'Académie de Moustiers de 2008, n°58.