par Frédéric d'Agay

 

Dans la bibliothèque familiale d’Agay se trouve un ouvrage du XVIIIe siècle relié en veau fin, et marqué aux fers dorés sur le premier plat, des armoiries avec un bélier à l’air guerrier sur une terrasse, entourées de la légende EX BIBLIOTECA GA. IOH. IUNOSZA PODOCKI et sur le deuxième plat, le même blason surmonté d’une couronne princière, de la croix et des attributs des archevêques et décoré des ordres royaux polonais : il s’agit d’un Traité de cosmographie universelle de M. Buy de Mornas, géographe du roi et des Enfants de France, à Paris, 1770. 

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Couverture du livre

 

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Le second plat armorié

Je me suis toujours demandé  ce qu’il faisait là, ma famille n’ayant aucun rapport avec la Pologne, fourni aucun officier ou diplomate vers ce pays. Jusqu’au jour où, par hasard, lisant un numéro de l’excellente Revue Marseille, je tombe sur un article de Jozef Hurwic, « Un primat de Pologne mort à Marseille »[1]. J’y appris que ce Gabriel Podocki (1719-1777) était archevêque de Gniezno-primat de Pologne, second sénateur du royaume alors possédé par Stanislas Poniatowski, protégé de Catherine II. Très apprécié des milieux intellectuels, menant une vie de sybarite, d’opinion tolérante et éclairée, il s’opposa à son roi et au clergé et devenu objet de mépris et de haine dut s’exiler en 1772 à Gdansk, puis pour des raison de santé en France en 1776 où il arriva avec son aumônier,… sa maîtresse et de nombreux domestiques. Après un séjour de consultation de médecins à Montpellier il arriva en octobre 1776 à Marseille où il loua un vaste appartement à l’hôtel de France, alors entre la rue Saint Ferréol et la rue de Rome, rue Vacon. Il achète de nombreux meubles, tableaux, et surtout commande des services de faïences à la mode chez Robert dont le détail nous a été fourni par Jacques Bacconier dans un bulletin de notre académie[2] : « Certitudes et incertitudes : les cinq services de faïences de Gaspard Robert commandés par le cardinal Podocki ». Ce passionnant article nous révèle le détail et les illustrations des cinq services comprenant chacun 144 assiettes et 78 pièces de forme, payés 4 400 livres le 27 mars 1777. Les décors «en paysage, animaux, oiseaux, poissons,... un servisse à bouquets jetés en or gravé avec bordure à festons... un servisse à paysages et figures camaieu vert avec une bordure en fleurs en vert et une dentelle en or et un filet vert sur l’épaisseur du bord de chaque pièce... deux servisses en paysage et figures peints selon leurs couleurs naturelles avec une bordure en or dite en écaille[3] «  reflètent bien les décors à la mode à Marseille et chez Robert, mais aussi le bon goût et l’élégance du cardinal, son train de vie. Dans son appartement figurait également une bibliothèque de 159 volumes, dont certains exemplaires sont aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Marseille et le volume de notre bibliothèque familiale porte le numéro manuscrit 150.

Mais  le cardinal n’eut pas le temps de profiter de ces merveilles car sa maladie et ses créanciers le rattrapent et il meurt ruiné dans son logis marseillais le 3 avril 1777. Il fut inhumé dans le caveau de  l’abbaye de St Victor… avant d’être jeté dans le vieux port par les révolutionnaires. Son frère et héritier fit procéder à la vente de ses biens qui eut lieu en janvier 1778. Je me plais à croire que notre ancêtre François d’Agay, officier général de la Marine royale, marié à Marseille, passait rue Vacon un matin de janvier 1778 et que, n’ayant pas de traité de cosmographie, l’ait acheté et rapporté chez lui à Draguignan, pour l’éducation de ses fils probablement, car destinés à la Marine.

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Portrait de François d'Agay

Rentré à Agay, devant la famille assemblée je raconte l’histoire qui amuse mes cousins, un d’entre eux va chercher le volume pour le regarder et le montrer et alors un papier s’en échappe et tombe par terre. On le ramasse et c’est une page manuscrite d’Antoine de Saint-Exupéry, frère de ma grand mère, un calcul mathématique, à la page 112 : Du cycle solaire…avec un croquis tiré de l’explication du livre. Là aussi on peut imaginer que le pilote –écrivain, en séjour chez sa sœur à Agay, ait pris le livre dans la bibliothèque lui, excellent mathématicien, savant auteur de brevets, et commencé à calculer le cycle solaire dans sa chambre…

recto

Recto du feuillet  :  Le croquis de la main d'Antoine de Saint-Exupéry

verso

Verso du feuillet : Le texte de l'étude d'Antoine de Saint-Exupéry

C’est une petite anecdote qui relie un prélat polonais amateur de faïences de Marseille, un officier de marine provençal et un grand écrivain du XXe siècle qui a écrit un très beau texte sur les émigrés polonais qui constitue le dernier chapitre de «  Terre des hommes «  qui se termine par ces mots : « Seul l’esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’homme »….

 

[1] N°183, mai 1998, p.120-122.

[2] Bulletin N° 63, Pages 52-87.

[3] Cité par Abbé Arnaud d’Agnel, dans son chapitre sur la fabrication Robert La Faïence et la porcelaine de Marseille, Paris, 1910, p. 408-409.