Par Alain Rathery

 

Christophe Perlès a eu l’amabilité de signaler l’apparition récente dans une vente américaine d’un couvercle de terrine avec des personnages chinois d’un modèle extrêmement rare, pour ne pas dire inconnu.

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La forme de ce couvercle ainsi que le fretel composé d’un poisson et d’un crustacé rattachent incontestablement cette production à la manufacture de la Veuve Perrin, le corps de la terrine correspondante présentant en général des anses en forme de léopards.

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Ce modèle de terrine assez largement diffusé a été utilisé avec les différents types de décors marseillais : fleurs, paysages, poissons, chinois, guirlandes de perles…

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Si la forme du couvercle n’a rien d’original, en revanche les personnages représentés et la manière dont ils sont peints confèrent un caractère inédit à cette pièce.

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Dans la production marseillaise, la présence de grands personnages chinois est rare. On n’en connaît guère que sur des pièces destinées à concurrencer directement les porcelaines de la Compagnie des Indes tel un petit pichet du musée de Sèvres où la peinture raffinée de trois femmes chinoises et l’emploi important de l’or marquent bien la volonté des faïenciers marseillais d’imiter la porcelaine chinoise. Manifestement ce décor n’a rien de commun avec celui du couvercle de terrine vendu aux Etats-Unis.

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Musée de Sèvres

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Un grand personnage chinois sous une ombrelle est également représenté sur une cafetière du Musée des Arts Décoratifs de Paris.

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Musée des Arts Décoratifs de Paris

Même s’il présente quelques similitudes avec le couvercle américain par la taille du personnage et un large emploi du jaune dont les faïenciers marseillais ne font habituellement qu’un usage modéré pour les représentations aux chinois, le décor de cette cafetière relève manifestement d’une autre iconographie et vraisemblablement d’un autre peintre. Le chinois sous son ombrelle n’a pas le caractère massif des personnages du couvercle de terrine et le traitement de son visage est nettement moins grossier. Quant aux arbres et aux végétaux représentés, ils n’ont rien de commun, la présence de genre de palmiers fleuris sur le couvercle de terrine étant d’ailleurs sans équivalent dans la production marseillaise de chinois.

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Un élément caractéristique du décor du couvercle américain est l’absence de terrasse sous les personnages, le sol s’étendant jusqu’au bord du couvercle ce qui est très inhabituel dans la production de chinois à Marseille. De même les quelques constructions présentes sont bien accrochées au sol alors qu’en général dans les décors de la Veuve Perrin tout comme dans les illustrations de Jean Pillement, elles semblent flotter dans l’air en équilibre précaire. Enfin dans la mesure où les clichés disponibles reflètent bien la réalité, la gamme des coloris est assez spécifique avec notamment un sol coloré en jaune qui dénote par rapport à la palette généralement utilisée par les peintres phocéens de faïences.

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Manifestement le dessin et la peinture du couvercle de terrine apparu sur le marché américain ne se rattachent à aucun des décors marseillais de chinois identifiés jusqu’ici (cf. Alain Rathery : « Le petit feu à Marseille : une faïence de peintres » Bulletin n°68-2018-Tome II, Académie de Moustiers). A ce jour on ne connaît aucune pièce de forme ou de platerie d’un tel modèle. On signalera que lors de la vente américaine le couvercle de soupière était proposé avec trois assiettes également sorties de la manufacture de la Veuve Perrin qui appartiennent à la période qualifiée d’intermédiaire du décor à liseré vert et noir avec des accolades ou agrafes à damiers vert et noir. Si ces assiettes faisaient partie du même service que la terrine, alors celle-ci aurait bénéficié d’un traitement spécifique sans autre exemple à ce jour. Peut-être s’est-il aussi agi à une époque ultérieure de compléter un service existant car la production du couvercle de terrine semble relativement tardive et sans doute postérieure à celle des trois assiettes. Sans doute également et c’est le plus probable, la présence concomitante dans une même vente américaine n’est-elle que le fruit du hasard.

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