Nous n’aborderons ici que les principales manufactures qui ont dominé la production moustiéraine. Une synthèse exhaustive des recherches de l’Abbé Requin  et  du  Dr  Julien  sur  les  faïenceries  de  Moustiers  est  proposée dans l’ouvrage « Faïences de Moustiers du XVIIe au XIXe siècles » aux éditions Fage. 

 

Les Clérissy

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Pierre Ier Clérissy. Portrait visible au château de Campagne, propriété des descendants de la famille Clérissy.

 

Ce  sont  d’abord  les  Clérissy,  qui  ont  fait  naître  à  la  fin  du  XVIIe la production  de  faïence  à  Moustiers  et  à  Marseille  (Saint  Jean  du  Désert).  La première  pièce signée  de Pierre Clérissy à Moustiers est  datée  de 1687. C’est une  chevrette  qui  figure  dans  les  collections  du  musée  de  Moustiers,  issue d’une  série  de  pièces  d’apothicairerie, dont  un  pot  canon  est  conservé  au Musée Arbaud d’Aix en Provence.

 

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Chevrette conservée au Musée de Moustiers, portant la mention Monsteriis opera P.Clerissy aquensis S-I Jacobi […] pharmacopolio, 1687.

Les Clérissy comptent alors parmi leurs employés des peintres de grand talent, les plus connus étant les Viry (François, puis Gaspard, son fils, et  Jean-Baptiste,  son  petit-fils)  qui  ont  peint  des  pièces  majeures  de  la manufacture.  On  connait  deux  magnifiques  grands  plats ovales  portant  la signature  du  peintre  Gaspard  Viry  chez  Clérissy,  dont  l’un  porte  une  date difficilement déchiffrable  (1701  ou  1707). 

 

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Grand plat ovale « Le bon Samaritain », portant la mention « G. Viry à Monstiers chez Clerissy», et daté 1701 ou 1707, conservé à Marseille, Musée Borély.

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Grand plat ovale représentant une chasse à l’ours, portant la mention « G. Viry f. à Monstiers », Conservé à la cité de la Céramique, Sèvres.

On  attribue  logiquement  à  la manufacture Clérissy les grandes pièces d’apparat, plats, bassins, aiguières dites en  casque…  illustrées  d’armoiries,  de  décors  inspirés  des  planches  de l’ornemaniste Jean Berain, de scènes mythologiques ou de chasse reproduisant les gravures  du  peintre et  graveur florentin Antonio Tempesta. Ces pièces majestueuses, démontrant sens artistique élaboré et virtuosité technique seront réalisées à la fin du XVIIe et dans le premier tiers du XVIIIe siècle.  Elles  feront  place  dans  les  années  suivantes  à  des  faïences  plus fonctionnelles,  de  moindre  dimension,  suivant  l’évolution  des  usages.  Les décors  aussi  vont  évoluer :  débuts  de  la  polychromie,  premiers  décors  à guirlandes,  aux  marchands…ou  encore  aux chinois  de  grand  feu,  précurseurs des  grotesques.  Bon  nombre  de  décors,  au-delà  de  ceux  évoqués précédemment ont pu être créés chez les Clérissy, alors que la littérature avait tendance à n’attribuer à cette manufacture que les grandes pièces d’apparat et les  décors  à  la  Berain  (mais  tous les  décors  à  la  Berain  ce qui  est  également inexact).  La  manufacture  a  été  la  première  chronologiquement,  mais également  la  première  en  taille  dans  sa  longue  période  d’activité.

 

Olérys et Laugier

Joseph Olérys, est né à Marseille en 1697 où il a pu débuter sa carrière de faïencier (chez les Clérissy de Marseille ?). Il a par la suite très probablement exercé chez les Clérissy de Moustiers, dont il restera très proche tout au long de sa vie, avant de retourner à Marseille en 1723, puis de partir pour Alcora en 1727.  Talentueux,  il  y  devient  le  directeur  artistique  et  technique  de  la manufacture  du  Comte  d’Aranda.  Ambitieux,  il  revient  enfin  à  Moustiers, en 1738, pour fonder l’année suivante sa propre manufacture associé à son beau-frère  Jean-Baptiste  Laugier.  On  lui  doit  inventions  et  évolutions  de  nombreux décors : grotesques,  guirlandes  et  médaillons,  mais  également  virtuosité  dans les  couleurs,  les  dessins  et  une  qualité  d’émail  toujours  remarquable.  La fabrique d’Olérys est intimement liée à l’apogée de la polychromie à Moustiers. Il n’est de réussite d’entreprise sans réussite humaine. La manufacture Olérys Laugier  a  formé  de  nombreux  apprentis  et  artisans  qui  sont  devenus  les peintres de référence de la faïence à Moustiers : Joseph Fouque (engagé chez Olérys et Laugier dès 1739), Jean François Pelloquin (formé précédemment par Jean Baptiste Viry dès l’âge de 14 ans, qui aura passé presque dix ans chez les Clérissy avant d’entrer chez Olérys), Jean-Etienne Baron qui partira par la suite chez Fauchier à Marseille, les Solomé, Jean Thion, Jean-Baptiste Fabre, Pierre-Victorien Olivier… La liste est longue et riche de grands talents. Leurs signatures apparaissent sur un grand nombre  de  pièces  issues  de  cette  prestigieuse manufacture.  En  effet  et  c’est  là  une  caractéristique bienvenue pour tous ceux qui étudient la faïence : une bonne partie des pièces sorties des  fours  de  la  manufacture  Olérys  et  Laugier  est  signée  du monogramme « OL » et des initiales du peintre.

 

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Assiette à décor à guirlandes et médaillon mythologique, portant au revers la marque « OL » d’Olérys et Laugier et une marque de peintre « P » attribuée à Jean François Pelloquin. Collection privée

Après  une  période  d’expansion  rapide,  Olérys  décède  dans  des  circonstances encore inconnues au cours de l’année 1749, et l’entreprise qu’il transmet à son fils Joseph II, est devenue en une décennie la seconde à Moustiers après celle des Clérissy.

 

Pelloquin et Fouque, puis Fouque

Avant  le  décès  de  Joseph  Olérys,  dès  le  22  août  1748,  Jean  François Pelloquin,  peintre  talentueux  chez  Olérys  et  Laugier,  vend  tous  ses  biens.  Il  a pour projet de créer son entreprise. Il passe à l’acte en acquérant le 30 janvier 1749 la faïencerie de son cousin Louis Roux en faisant jouer le droit de retrait lignager.  Quelques  mois  plus  tard,  Joseph  Fouque,  de  5  ans  son  cadet,  lui aussi  peintre  d’exception,  le  rejoint  pour  créer  la  manufacture  Pelloquin et Fouque. Ils ont signé un certain nombre de pièces du monogramme « PF ». On connait notamment des pièces à guirlandes et médaillon. Parmi celles-ci, 7 des 16 pièces connues portant le prestigieux décor « à guirlandes et 8 médaillons » peuvent  leur  être  attribuées,  5  parmi  ces  7  pièces  étant  signées. 

 

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Assiette à décor « à guirlandes et huit médaillons », portant au revers la marque « PF» de Pelloquin et Fouque. Collection privée

Par  la  suite Joseph  Fouque  s’associera  avec  Joseph-François,  le  fils de  Jean-François

Pelloquin, après le décès de ce dernier. Puis en 1783, Joseph Fouque cède ses parts  à  Joseph-François  Pelloquin  qui  poursuivra  seul  la  manufacture.  Cette vente  lui  permet  de  racheter  la  prestigieuse  manufacture  Clérissy,  qui deviendra  la  fabrique  Fouque.  Joseph  Fouque    sera maire  de  Moustiers  en 1790. Il décèdera en 1799 à l’âge de 80 ans. Son fils Gaspard lui succèdera. La fabrique  a  produit  des  pièces  en  grand  feu  et  aussi en  petit  feu  durant  toute cette  période.  Les  pièces  en  grand  feu  « tardives »    ne  sont  presque  jamais signées, et celles en petit feu le sont rarement, si bien que les attributions sont difficiles.

 

Les Féraud

Au  XVIIIe il y  a eu  deux Féraud  à  la  tête  de manufactures  de  faïences  à Moustiers :  d’abord  Jean-Baptiste  Féraud,  apprenti  chez  Antoine  Chaudon, fabricant de 1759 à  1768, puis de 1772 à 1776 ; ensuite Jean-Gaspard Féraud, neveu de Jean Baptiste, associé à Berbégier de 1780 à 1792, à qui l’on attribue « le  genre Féraud ».

 

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Sucrier couvert à décor à décor polychrome, attribué à Féraud. Collection privée.

Vu la  rareté  des  signatures, il  y  a évidemment matière  à discussion car il est probable que d’autres manufactures à cette époque aient produit  ce  type  de  décor  et  il  est  également  possible que  la manufacture Féraud en ait produit d’autres …

 

Les frères Ferrat

Jean-Baptiste II (né en 1738) est déjà un faïencier expérimenté lorsqu’il s’associe en 1764 avec son jeune frère  Louis II (né en  1744).

 

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Assiette à décor champêtre de petit feu, signature au revers « Ferrat à Moustiers ». Musée de Moustiers.

Les Ferrat ont signé des pièces en petit feu, si bien qu’on a eu tendance à leur attribuer l’intégralité des faïences au feu de moufle de Moustiers alors que d’autres manufactures en ont produit,  et même quelquefois  signé.  Ils  ont  par  ailleurs  probablement eu une production méconnue en grand feu.

Conclusion

Ce  survol  des  principales  manufactures  moustiéraines  nous  amène dans  les  dernières  décennies  du  XVIIIe,  période  de  grands  bouleversements politiques  en  France,  période  qui  voit  également  s’achever  l’essor  inexorable de la porcelaine dont la finesse et le raffinement relèguent progressivement la faïence  au  rang  de  vestige  du  passé.  Malgré  quelques  pièces de  haut  niveau, c’est  majoritairement  une  production  faïencière  de  moindre  qualité qui  a perduré  pendant  la  première  moitié  du  XIXe siècle,  souvent  bien  loin  de  son raffinement d’antan. En 1810 il reste encore sept fabriques à Moustiers. Elles fermeront  toutes  progressivement  au  cours  de  la  première  moitié  du  XIXe siècle, à l’exception de celle de Pierre-Toussaint Féraud qui continuera jusqu’en 1874.  Il  faudra  attendre  1927  pour  que  Marcel  Provence  relance  l’activité faïencière à Moustiers.